J’ai poussé la porte, posé dans la cuisine les sacs dont l’un avait laissé une file de gouttes sanguinolentes. Je me suis assise dans une semi-obscurité ; ici, le bord de mer ne connaît jamais le noir complet de la nuit, trop d’éclairage. Il me restait donc quelques heures pour débarrasser le plancher. Et ressasser que je venais encore une fois de me faire larguer. Encore une fois par un connard dont j’étais amoureuse.
J’étais arrivée un soir, par la route qui bordait la plage avec sa guirlande de lucioles électriques, les coffres pleins de fringues, de quelques babioles aussi, histoire de ne pas me sentir perdue dans mon nouveau Home. C’est comme cela que David m’avait présenté la chose en me filant un trousseau de clefs ; faut dire, à force de passer presque toute nos nuits chez lui, il en avait eu assez de me voir en nomade – Tiens, Darling, les clefs de ton nouveau Home. J’avais réussi à louer mon appart à une étudiante pour deux mois et j’ai emménagé dans sa baraque.
Il y a trois semaines.
On était ensemble. C’était comme avant, sauf qu’un truc clochait, un rien, un atome. Et j’avais pas tort car, maintenant, mes deux valises m’attendent, sagement rangées dans le coffre de ma voiture. Je me tiens dans la cuisine, où seule la lumière d’un réverbère éclaire la pièce. Il y a une grosse flaque rouge sous l’un des deux sacs, j’avais acheté le plus gros pot de sauce tomate du supermarché. Dans ma main les clefs de la Clio jaune et ce putain de papier que j’ai arraché de la porte d’entrée et que je suis en train de relire. J’ai vraiment été cruche de le croire, croire qu’il était anglais, directeur d’une boîte d’informatique. Ouais, c’est ça ! Et moi, je suis bonne sœur… Il avait un accent tellement affreux quand il parlait français. Et il n’aimait que le bling-bling, ne savait pas même qui était Henri VIII alors qu’il était censé avoir étudié à Cambridge - Mais Darling, je haïssais l’histoire, c’est tellement inutile ces choses du passé pour faire du business. Et, là, devant mes yeux enfin ouverts, il a pondu une faute, grosse comme une météorite, sur ce message qui m’intime l’ordre de me barrer. Je repose la feuille sur la table. Je rajoute au crayon cette phrase : Coralie Bonamy est partie, elle n’existe plus ! et j’éteins pas la lampe vu que j’ai pas allumé. Eteins, souligné deux fois, sale mytho !
Je m’étais encore fait larguer, mais surtout j’avais été bien conne.
Enfin pas tout à fait conne.
Car Coralie Bonamy n’existe pas. Ou plutôt elle existe, mais ce n’est pas moi. C’est juste une carte d’identité que j’ai trouvée dans un sac oublié dans les toilettes d’une aire d’autoroute. Et que j’ai gardé au cas où Ce n’était pas mon appart où je créchais quand on s’est connu. J’ai ensuite sous-loué mes deux derniers mois de location à une nana rencontrée par hasard puis pipoté que c’était le mien.
J’étais venue sur la côte pour me remettre du départ de mon ex, le premier qui m’ait laissée. Il y a un an. Enfin, là, c’est clair, il est temps pour moi de quitter la métropole et de repartir chez moi, en Guadeloupe. La porte d’entré claque derrière moi, beaucoup trop lourde. Je dépose un petit sac dans le coffre de ma caisse, près des deux valises. Dedans, il y a sa montre, puisqu’il y tient tant, trois mille euros que j’ai piqués dans son bureau et un bracelet plein de brillants qui traînait. Je ne le porterai pas, trop clinquant, mais ça restera un souvenir.
Dans deux heures, j’aurai rendu ma bagnole de loc, je serai redevenue auburn et j’aurai les cheveux courts. Coralie Bonamy aura fini dans une poubelle de l’aéroport. Demain, je serai loin.
Il ne pleut plus, le moteur ronronne doucement. Finalement, cette nouvelle séparation, je la sens mieux que la précédente…
Le texte est beau en soi (hourrah pour la fille qui sait lui rendre le mal !) mais ce qui m'épate encore plus, c'est que tu as adroitement tissé les trois parties de la consigne dans le même texte...et qu'on ne saurait même pas qu'il y avait des consignes, c'est tellement bien rendu.
RépondreSupprimerBravo, bravo, caro, chapeau super bas !
P.-S. : J'ajoute que je l'ai vraiment beaucoup aimé, ton texte !
RépondreSupprimerbravo pour ce traitement conjoint des 3 consignes avec un sénario palpitant un texte très réussi
RépondreSupprimerJ'aime le ton du récit et le savant amalgame des trois consignes. Bravo
RépondreSupprimerben oui c'est ça le fun faire un truc alambiqué avec les trois hypothèses de départ :)
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