L'EXCUSE par Caro

J’ai arrêté de tourner les tables le jour où j’ai cru voir ce sabre suspendu au mur trembler puis heurter le mur d’un mouvement saccadé. J’ai lâché le verre qui tournicotait sur lui-même et fixé Germaine. « C’est fini ! » ai-je jeté devant l’assemblée médusée. J’ai jeté les cartes, la patte de lapin, les plumes et les sorts et je suis partie. La pièce puait le mauvais sort et ma vie aussi.

Je suis rentrée dans les rangs, j’arrivais à l’heure au boulot, je payais mes factures, je ne partouzais plus à droite à gauche - c’est mauvais pour la santé - et quand je voyais un djinn, un ange ou un démon, je détournais les yeux. Enfin pas tout à fait, il me suffisait de serrer la main à quelqu’un pour jauger le personnage. Un petit tremblement, un chouya d’électricité, emballé, c’est pesé, je savais à qui j’avais affaire. Je me tenais donc sur mes gardes, les mauvaises rencontres, c’est pas que dans les cartes.

Je l’ai rencontré alors que je venais de griller un feu. Un beau spécimen de la maison poulaga. J’aurais dû remarquer les ondes qui m’avertissaient avec l’insistance d’un gyrophare que c’était un plan foireux, avoir des doutes mais rien que de l’imaginer à ouilpé, il y a dû avoir des interférences. En tout cas, le soir, je prenais la mesure, des ses mains, de sa peau, de sa bouche. Bref.

Ça a continué un moment sur mon lit une place jusqu’à ce qu’il se décide à m’inviter chez lui. Ce jour-là, j’ai failli, je dis bien failli, jeter mes tarots et ma vie d’avant. Pile-poil au moment fatidique, j’ai pensé à ma mamie et à tous les autres vieux qui avaient usé leurs doigts sur ces cartes et avaient salivé sur l’excuse. C’est mon côté sentimental, vous voyez, et je l’ai rangé dans un tiroir de la cuisine. Bien m’en a pris parce que ce salopard gardait des drôles de trucs en haut du placard de’ l’entrée : des menottes et des fouets, des trucs vraiment pas nets. Je les avais d’abord vus dans un rêve après avoir toque-toquer dans ses bras plusieurs fois à la porte du huitième ciel et en catimini, alors qu’il ronflotait à mes côtés, je suis allée voir. Normalement, j’aurais pas osé, mais, dans mon rêve il y avait ce grand truc blanc style lumière au fond du tunnel, après c’est la mort, ma belle qui m’a secouée. J’ai fermé lentement la porte en bois et j’ai pas eu besoin de plus de deux minutes pour comprendre que tout ça me disait de me barrer, que sinon j’étais bonne pour mon dernier rendez-vous. J’avais pas le choix. Il fallait juste que j’y me barre en douceur.

Alors, j’ai pris mes cartes dans le tiroir et j’ai infléchi le destin ; j’ai pioché l’excuse. Ça s’est réglé vite fait bien fait après ça puisque le beau mec s’est pris une balle perdue dans un braquage, ça a taché sa belle veste marine. C’était con, j’ai dit à sa famille, on venait de parler de se mettre en ménage et il avait carrément souscrit à une assurance-vie pour moi dans la journée. Mais ça je leur ai pas dit. Faut dire que je n’avais pas eu de mal à le convaincre, je lui avais fait miroiter des nuits brûlantes de douleur, juste un peu avant l’accident.

J’ai pleuré comme une madeleine le jour des funérailles et j’ai empoché la thune. Je me serai presque excusée d’avoir faussé le destin, mais j’ai préféré mieux pas. Avec les morts, on ne sait jamais à quoi s’en tenir et les vivants, il vaut mieux s’en méfier. La vie c’est un jeu où il faut toujours garder une excuse dans sa main. C’est plus prudent. Enfin c’est ce que m’ont toujours dit les cartes.

3 commentaires:

  1. Waouh, caro ! J'aime beaucoup le ton de la narration surtout parce que c'est tout à faut autre que toi, la personne, et c'est excellent. Ce n'est pas tout auteur qui sache faire cela. BRAVO !!!

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  2. Houlà là ! quelle fin ! Et bien joué (aux cartes). Bravo pour ce texte surprenant :-)

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  3. bravo ! un texte drole et juste ce qu'il faut de sombre !

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