Un peu comme Ernest Renan qui a été élevé par des prêtres, Ronan est dans une école chrétienne. Il est en sixième, en pension chez les Frères, ceux dits des écoles chrétiennes, ceux qui ont le rabat blanc.
Ce matin-là, pendant la récréation, ils jouent au foot dans la cour. Frère Gustave s’est invité dans l’équipe d’en face. Ronan ne l’aime pas beaucoup Frère Gustave, la trentaine, une force de la nature mais qui a la réputation d’être très sévère pour ne pas dire sadique.
Les copains d’en face n’en peuvent plus, ils ont perdu leur jeu, leur beau jeu léché, houspillés qu’ils sont par un Frère Gustave hurlant et vociférant, leur réclamant sans cesse le ballon.
Tout à coup, empêtré dans sa soutane, Frère Gustave marche sur la balle et se prend un magnifique gadin. Par peur de représailles, personne ne moufte, personne sauf Ronan qui ne peut cacher sa joie. Toujours à terre, Frère Gustave lui jette un regard noir. Un regard si noir que Ronan croit y voir le diable en personne. Pointant un index rageur sur lui il crie : « Deux heures de colle ! Deux heures de colle… et le Lutrin ! »
Pour Ronan, c’est le ciel qui lui tombe sur la tête. Va pour les deux heures, mais Le Lutrin… Mon Dieu ! C’est vraiment une punition inhumaine. Le Lutrin, ce poème héroï-comique de Boileau, un truc imbittable, jamais il ne pourra l’apprendre par cœur et le réciter !
Les jours passent et tous les soirs Ronan lit et relit Le Lutrin :
Je chante les combats, et ce prélat terrible
Qui par ses longs travaux et sa force invincible…
Qui par ses longs travaux et sa force invincible…
Il se dit qu’il n’y arrivera jamais. Bien trop dur !
À force de courage, il pense finalement y être arrivé. Il se sent prêt.
Après l’étude du soir, il se dirige alors vers les logements des frères, au dernier étage du bâtiment. Comme le veut la coutume, les élèves punis s’y rendent pour présenter leurs lignes ou réciter leurs punitions.
Pour Ronan, c’est la première fois, il découvre l’endroit. L’escalier débouche sur un long couloir sombre qui dessert les chambres de ces très chers frères. Le plancher, vieillot, sent l’encaustique et couine sous ses pas. Il frappe à la porte. La chambre pue le tabac à plein nez.
Ronan est terrorisé et l’odeur lui donne la nausée. Frère Gustave se place derrière lui et dit « J’écoute ! » Ronan commence sa récitation.
Je chante les combats, et ce prélat terrible
Qui par ses longs travaux et sa force invincible,
Dans une illustre église exerçant son grand cœur…
Qui par ses longs travaux et sa force invincible,
Dans une illustre église exerçant son grand cœur…
Frère Gustave ne dit rien, mais il le sent derrière lui. Il sent son haleine fétide dans son cou.
…
C'est en vain que le chantre, abusant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
Ce prélat, sur le banc de son rival altier…
Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
Ce prélat, sur le banc de son rival altier…
Ronan est inquiet. L’haleine derrière lui est de plus en plus repoussante.
…
Muse, prête à ma bouche une voix plus sauvage,
Pour chanter le dépit, la colère, la rage,
Que le chantre sentit allumer dans son sang
A l'aspect du pupitre élevé sur son banc.
D'abord pâle et muet, de colère… euh… de colère… euh…
Pour chanter le dépit, la colère, la rage,
Que le chantre sentit allumer dans son sang
A l'aspect du pupitre élevé sur son banc.
D'abord pâle et muet, de colère… euh… de colère… euh…
Catastrophe ! La panne, le trou de mémoire.
Il n’a pas le temps de s’inquiéter plus avant. Frère Gustave le claque violemment sur les oreilles, les deux mains en même temps. Deux claques simultanées à lui faire exploser les tympans, à le faire tomber dans les pommes.
Ronan ne se souvient plus de rien.
Ernest Renan a dit « Ce qu’on dit de soi est toujours poésie », mais Ronan, lui, n’en a cure.
Il déteste la poésie, il déteste Boileau, il déteste les curés !
Pitié! D'accord pour le Lutrin... mais pas les oreilles !!
RépondreSupprimerJe suis contente qu'un tel acte soit maintenant puni par la prison, bande de sales sadiques !
RépondreSupprimerLe plancher vieillot qui sent l'encaustique et qui couine ...
RépondreSupprimerÔ rage, Ô désespoir !... Dieu que ça me parle !!!
:((
Ouh là là ! Ce Lutrin est bien indigeste et les claques sur les oreilles, ça me fait mal rien que de lire !
RépondreSupprimer@ Vegas Hein ? Kestudis ? Quand on n'a plus de tympans, ce n'est pas facile ! ;-)
RépondreSupprimer@ Joye : sadiques, le mot est faible. Après de telles expériences, on s'étonne que les pires anticléricaux sortent des écoles chrétiennes.
@ Santoline "Je vous parle d'un temps que les moins de ?? ans ne peuvent pas connaître"
@ Anne-Ma Oui, ça fait mal ! Le gugustave qui était à côté de Ronan, n'a rien senti, lui ! ;-)
Merci à tous pour vos comm's