FANTOCHINA ET POLICHINELLE par SklabeZ

Merci à icanhascheezeburger.com pour l'image

Le rideau vient de tomber.

Portant dans ses bras la croix de bois et les fils qui l’ont toujours maintenue et animée, Fantochina la marionnette, s’assoit et détend ses jambes. Le spectacle vient de se terminer et elle essaye, à grand-peine de reprendre sa respiration.

Cela fait maintenant près de vingt ans qu’elle se donne en spectacle et les représentations sont de plus en plus éprouvantes.

Malgré la fatigue, Fantochina est triste. Elle vient d’apprendre que c’est son dernier tomber de rideau et qu’on lui retire son costume de scène. Elle est triste et la perspective de finir au fond d’une cave, couverte de poussière, abandonnée sur une vieille étagère, l’incommode au plus haut point.


Professionnelle jusqu’au bout des ongles, elle avait pourtant, comme à chaque fois, répété son spectacle. Pour chasser ce trac encore et toujours présent, malgré les années, elle avait aussi fait le vide dans sa tête pour habiter et incarner son personnage… Mais tout a une fin, et pour elle, c’est la dernière fois.

Si on me remplace, qui pour prendre la suite ? Qui reprendra le flambeau pour assurer le spectacle, amuser et réconforter notre jeune auditoire ?

N’ayant pas la réponse, elle décide d’interroger son marionnettiste. Ils font équipe depuis si longtemps et ils se connaissent parfaitement.

« Écoute-moi, mon ami. Depuis de nombreuses années, nous jouons avec succès, et sans relâche notre petite comédie bouffonne. Jamais nous ne pourrons supporter le désœuvrement et l’ennui. Retapons notre vieille roulotte et reprenons la route comme à nos débuts.

- Ne rêve pas, ma pauvre ! De nos jours les routes ne sont plus sûres et nos bambins n’ont plus envie de mettre le moindre sou dans notre spectacle. De plus, tu es rongée par la vermine, tes articulations sont rouillées et couinent désagréablement, tes vêtements sont mités, ton teint défraîchi… » La critique est hostile.

Plus la critique est hostile, plus l'artiste devrait être encouragé.  Loin de se démonter, elle s’enferme dans sa loge et cogite. Elle se souvient d’une histoire extraordinaire que lui avait confiée la poupée de chiffon d’une habilleuse, rencontrée il y a longtemps, dans un théâtre quelconque.

Elle rassemble les bribes de sa mémoire et commence la confection d’un masque et d’un costume de scène. Elle y consacre toute sa nuit.

Au petit matin, elle réveille son marionnettiste et lui dit : « Je ne suis peut-être plus en état de me produire, certes ! Mais  toi ? N’est-ce pas toi qui, en tirant les ficelles est le seul et véritable acteur de mon rôle ? Eh bien ! À ton tour de monter sur les planches, tu seras Polichinelle ! »

Et c’est ainsi que, Fantochina convainquit son possesseur de porter le masque qu’elle lui avait confectionné pour jouer le premier rôle.

14 commentaires:

  1. Après l'arroseur arrosé, le tireur de ficelles tiré de sa lassitude! Longue vie à Polichinelle

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    1. Un beau challenge à relever, pour lui !
      Merci, Vegas.

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  2. Quitter son rôle, laisser sa place au bout d'une vie à faire don de soi ... et rejoindre les oubliettes.
    Beau geste de Fantochina qui passe le relai à son compagnon.
    Belle histoire Sklabez.

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    1. Le don de soi, au bout d'une vie... beau geste en effet.
      Merci Santoline

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  3. Santoline l'a dit avant moi, c'est une belle histoire, riche en interprétations. Bravo !

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    1. Belle histoire qui m'a aussi beaucoup ému. En l'écrivant, hier soir, j'en avais presque les larmes aux yeux. Comme quoi, il n'est pas bon d'être trop sensible et de s'investir autant dans ses personnages. Merci Joye.

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  4. P.-S. : Comment as-tu choisi les noms de tes personnages ? Sont-ce des personnages connus de la comedia del arte, par exemple ?

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    1. Fantochina est une pure invention. Je voulais une marionnette féminine et je l'ai créée à partir de fantoche qui est l'autre appellation de la marionnette à fils.

      Pour l'autre personnage, mon choix était assez limité, j'aurais pu aussi l'appeler Pinocchio.

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  5. Inversion des rôles, celui qui tirait les ficelles devient marionnette. Bravo Sklabez.

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    1. Un passage de témoin et un échange de masques en quelque sorte.
      The show must go on...
      Merci Anne-Ma.

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  6. - Touchez ma bosse, monseigneur !
    - C'est la bosse des mathématiques ?
    - Non c'est celle du talent littéraire !
    - Mais je n'en ai que faire, Polichinelle-SklabeZ ! J'ai déjà la puissance, l'argent...
    - Allons, soyez raisonnable ! C'est celui qui écrit vos discours qui tire les ficelles ! C'est le verbe qui gouverne !

    Perso, je voterais bien pour toi, SklabeZ !
    ;-)

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  7. Talent littéraire, comme tu y vas fort, Joe ! L'inspiration ça va, ça vient... Il y a des jours avec et des jours sans, nous sommes tous à la même enseigne.
    Merci de ton suffrage et de ton compliment, Joe.

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  8. "Portant dans ses bras la croix de bois et les fils qui l’ont toujours maintenue et animée, Fantochina la marionnette, s’assoit et détend ses jambes."
    Voilà ce que nous devrions tous faire un jour..
    J'ai savouré ton texte de bout en bout, il est "inspiré "
    Merci

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  9. Ton compliment me va droit au cœur.
    Grand merci Lise.

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