LA ROCHE TARPÉIENNE par SklabeZ

Geese by
Le repas du soir tire à sa fin et le petit Marc est inquiet. En face de lui, son père, songeur, se pétrit les mains et fait craquer une à une toutes les
articulations de ses doigts. Pas bon signe ! Il est de mauvaise humeur, ça ne devrait pas tarder à éclater.

« Marco !

Tu m’avais promis de réviser ton histoire de Rome, pour ton contrôle de demain matin ! Au lieu de cela, tu as passé tout ton mercredi à jouer avec tes
copains. Ce n’est pas sérieux ! Tu me déçois ! »

En bonne médiatrice, Maman qui n’aime pas ces moments de tension, intervient aussitôt : « Voyons, chéri ! Tu es bien trop exigeant ! Ses résultats à l’école sont déjà très satisfaisants et, à son âge, il a encore besoin de jouer »

Blessé dans son amour-propre, Marc ne finit pas son dessert. Il embrasse papa, maman et monte se coucher.

Fatigué par sa journée, il s’endort aussitôt et plonge dans un rêve bien étrange.

Il s’appelle Marcus Manlius et est soldat à Rome. Nous sommes en l’an 390 avant Jésus-Christ. Les Gaulois de Brennus se sont emparés de la cité, désertée par ses habitants. Accompagné de quelques courageux, Marcus s’est réfugié dans la citadelle du Capitole et résiste à l’invasion gauloise.

Cela fait déjà quelques mois qu’ils sont assiégés et la famine se fait cruellement sentir. Ils n’ont plus de nourriture. Dans une tentative désespérée, ils ont jeté toutes leurs réserves de pain aux assiégeants pour leur faire croire qu'ils ont des réserves infinies et ainsi les démoraliser. Les plus affamés commencent à baver d’envie en lorgnant les chiens de garde et les oies consacrées à Junon, seuls animaux épargnés malgré la disette.

Une nuit, il est réveillé par les cris des palmipèdes sacrés. Qu’est-ce qui leur prend ? Les chiens ne se manifestent pas, tout est calme… intrigué il se lève et se retrouve nez à nez avec un premier guerrier gaulois qui venait de poser le pied sur le sommet de la citadelle. Marcus crie pour donner l’alerte et renverse le Gaulois qui entraîne tous ses compagnons, avec lui dans sa chute.

Marcus fut alors considéré comme un héros et, depuis cet événement, les oies sacrées sont transportées sur des litières luxueuses alors que des chiens sont crucifiés sur le parcours des processions.

Bien plus tard, Marcus Manlius, accusé d’avoir détourné une partie de l’or gaulois fut condamné à mort.

Il fut conduit au sommet de la colline, de cette colline, théâtre de ses faits d’armes qui l’ont rendu célèbre, mais pas au Capitole cette fois-ci, sur un autre versant, sur le flanc sud-ouest, là où se trouve la roche Tarpéienne. En pensant à sa gloire passée, il ne peut s’empêcher de penser à cette citation latine « Arx tarpeia Capitoli proxima »*

Condamné à être précipité, il regarde dans le vide.

Marcus ne se verra pas tomber, pas plus qu’il ne verra son propre corps, désarticulé au pied de cette roche… il est réveillé par l’odeur du café chaud et du pain frais qui monte de la cuisine.

« Bien dormi, Marco ? » lui demande sa maman en l’embrassant.

« Oh oui, bien dormi ! » puis il rajoute : « Dis, maman, je ne sais pas pourquoi, mais je crois que je vais avoir une bonne note à l’école ! »

* « La roche Tarpéienne est proche du Capitole »

5 commentaires:

  1. Alis volat propiis. (state motto of Oregon)

    ;-)

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  2. Ah, des ailes, si seulement il en avait eues !
    Il aurait alors pu appliquer la devise du Wisconsin ;-)

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  3. Merci de rappeler aux jeunes générations, dont je suis, tout un pan de notre culture latine. Et merci de rappeler aux plus âgés, dont je suis aussi, ce qu'il y a exactement derrière les locutions toutes faites !

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