LA TRAHISON DE LULU par SklabeZ

Chamomile par joye


Lulu et lui était inséparables.
Ils se sont connus dans la cour de récréation de l’école Notre Dame des Victoires lors de la rentrée des classes. En maternelle tous les deux, c’était leur toute première rentrée et leurs mamans respectives venaient tout juste de les accompagner jusqu’à la grille.

Le cœur gros, au bord des pleurs, les bambins n’étaient pas fiers. La séparation d’avec leurs parents fut un moment pénible pour tous et particulièrement difficile pour eux deux. Ce furent les seuls à craquer et fondre en larmes devant tous les autres… alors forcément, ça crée des liens. Et, comme à deux on se sent plus fort pour affronter l’adversité, Lulu s’était naturellement rapprochée de lui.

Dans la classe, la maîtresse les place l’un à côté de l’autre et ils passent ainsi toute leur première année d’école ensemble. Ils apprennent très vite qu’ils ont exactement la même date de naissance, même jour, même mois, même année, et cette simple coïncidence les rend plus proches encore. Contrairement aux autres, ils ne traînent plus les pieds pour se rendre à l’école ; quel contraste avec cette première journée de rentrée qui leur avait fait si peur ! Ils n’ont plus qu’une seule hâte, se retrouver.

Comme la maternelle est la seule classe mixte, l’année suivante Lulu reste dans cette école de filles tandis que lui est dirigé vers l’école des garçons. Séparés à l’école, ils se retrouvent rapidement après la classe et elle vient souvent jouer chez lui dans le grand jardin familial.

Quand ils se retrouvent, ils ne s’ennuient jamais et un rien les occupe, ils sont juste heureux d’être ensemble. Au printemps, ils passent ainsi des heures à effeuiller la marguerite. Hypersensibles tous les deux, leurs mains tremblent en manipulant délicatement ces fragiles pâquerettes. Lui, la voix teintée d’émotion, la regarde dans les yeux et égrène : elle m’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Il triche et supprime le « pas du tout » car il veut que le sort le conforte dans son idée et lui donne toujours raison. Lulu, complice, ne fait semblant de rien et entre dans son jeu. Elle fait la même chose à son tour. Ils sont heureux et ils s’aiment. Ils s’aiment d’un amour juvénile et platonique, d’un amour comme on peut en avoir à cet âge.

Parfois, sans raison, le regard de Lulu change et elle abrège alors brusquement ce petit jeu. Devenant désagréable et haineuse elle se met à martyriser de malheureux insectes de passage. Au début, lui était inquiet et ne comprenait pas trop ce qui arrivait à sa Lulu. Pour l’apaiser elle essayait de le rassurer en lui disant que ce n’était rien, que c’était juste l’avenir que sa mère avait prévu pour elle qui lui faisait un peu peur.

Lulu n’a pas de papa. Sa mère, qui a de grandes ambitions pour sa fille, n’aime pas trop la voir avec ce garçon, mais comme il a lui-même deux jeunes sœurs, elle tolère ces rencontres. Faut dire qu’elle n’est pas commode sa maman ! Dans ce gros bourg de campagne, on l’appelle la bigote, toujours fourrée à l’église, comme pour racheter ses fautes passées. Alors que ses deux autres sœurs, les tantes de Lulu, sont dans les ordres, c’est la seule de la famille à avoir commis le péché de chair, et avec un inconnu en plus.

Les années passent et, entrée au collège oblige, ils se perdent de vue.

Alors qu’elle lui avait toujours juré qu’elle l’aimait passionnément, à la folie, il apprit plus tard que sa Lulu l’avait trahi en prenant un amant. Un amant éternel et tout puissant, un amant avec lequel on ne peut pas rivaliser.
Eh oui, sa Lulu a pris le voile ! Ainsi, le travail de sape de sa mère et de ses deux tantes a fini par payer. Lulu n’a jamais pu sortir du chemin que sa mère avait tracé pour elle.

Il se dit maintenant que les dés étaient pipés dès le départ, Lulu n’était qu’un prénom d’usage. Son vrai prénom, celui de l’état-civil, celui que sa mère lui avait donné à la naissance était Ursuline. Préméditation, déjà !

4 commentaires:

  1. C'est du vécu, SklabeZ ? Tu étais amoureux d'une petite pré-soeur ?

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    1. Tu commences à me connaître un petit peu, j'ai toujours été dans tous les mauvais coups ! ;-)

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  2. Dans chaque écrit - quel que soit son auteur - il y a un peu, beaucoup de vérité, et parfois à la folie.

    Je pense que tu es une personne très honnête, ce n'est pas ton style d'inventer une telle histoire, me semble-t-il, tout rempli de tendresse et de souvenirs encore vivants.

    Bravo à toi !

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    1. Toutes mes histoires ne sont pas vécues et j'en invente aussi beaucoup. Mais dans ce cas, la conviction n'est pas la même et je pense que le lecteur s'en aperçoit.

      Il y a parfois une part fictive dans mes histoires vraies, ou une portion vécue elle aussi, mais dans une autre histoire...

      Je ne l'ai connue qu'enfant et pré-ado. Elle est devenue carmélite, cloîtrée et a renoncé à tout. Elle qui était si sensible, si aimante, si ... je me demande encore comment a-t-elle pu faire une chose pareille.

      Quand je l'ai appris, je ne pensais plus à elle. Le temps est cruel et finit par éroder les plus belles histoires. Je crois savoir ou elle est mais je n'ai jamais cherché à la revoir. Je respecte son choix de vie, ses vœux... je ne comprends toujours pas.

      Je ne sais même pas si elle est bonne santé ou encore en vie et je ne veux pas le savoir non plus, je pourrais en souffrir.

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