La main par joye |
En arrivant à la hauteur de l’épicerie de Madame Tamic, comme il le fait à chaque fois qu’il rentre de l’école, le petit Perrig change de trottoir. Il ne veut pas passer devant le baraquement délabré qui se trouve un peu plus loin sur le terrain vague. Même en passant à bonne distance, l’occupant des lieux lui fait peur.
La baraque est habitée par un pauvre hère, un monsieur entre deux âges, « le grignou » comme tout le monde l’appelle. Il a l’impression qu’il l’observe derrière ses vitres sales à chacun de ses passages. Il ne lui a pourtant jamais rien fait le grignou, mais il a entendu tant d’histoires à son sujet. On dit que c’est un voleur et paraîtrait même qu’il enlève parfois les enfants qui s’attardent devant chez lui…
Aujourd’hui, son vieux cartable lui semble plus lourd qu’à l’habitude. Perrig ne fait même pas attention au grignou, préoccupé qu’il est par son bulletin trimestriel. Les appréciations portées par son maître d’école sont exécrables et toutes les notes sont sous la moyenne.
Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir raconter à son père ? Son père, si exigeant, si sévère, si…
Il est maintenant devant le jardin public. Habituellement, il s’arrête un instant pour observer les canards et le couple de cygnes qui glissent sans bruit dans la grande mare. C’est un spectacle qui le fascine mais aujourd’hui, le cœur n’y est pas.
Le cœur n’y est pas et pourtant… soudain, son visage s’illumine.
En arrivant à la maison, son père est dans le jardin, en plein papotage avec Louis et Henri, des collègues de travail. Perrig ne les aime pas trop, ce sont des vantards, pas très fute-fute, toujours la gitane maïs au bec.
- Dis-moi, Perrig, qu’as-tu fait de ton cartable ? lui demande son père
- Euh !
- Hein ? Il est où ton cartable ?
- Euh, c’est le grignou !
- Quoi, le grignou ?
- Le salaud !!! s’écrie Henri
- Attendez-moi, dit Louis, j’ai des manches de pioche à la maison, on va aller lui régler son compte à ce fumier !
Perrig commence à prendre peur… ça va trop loin, là !
- Attends, Papa ! J’ai menti ! Je l’ai jeté dans la mare aux canards ! C’est pas le grign...
Une grande baffe vient l’arrêter net !
Malgré sa joue douloureuse, Perrig ne peut s’empêcher de rire.
Revenu sur les lieux du crime avec son père, il voit ce dernier, maugréant, l’eau à mi-cuisses, en train de sonder la mare avec un bâton. Soudain il glisse et dans une grande éclaboussure il voit sa main émerger à la recherche d’un hypothétique appui… sous le regard moqueur des cygnes et des canards.
Revenus crottés à la maison, il a reçu une autre avoinée quand son père a pris connaissance du carnet de notes après l’avoir soigneusement rincé et séché.
Le lendemain, en arrivant près de l’épicerie de Madame Tamic, le petit Perrig n’a pas changé de trottoir.
Une histoire d'enfance comme j'aime bien les raconter! ça doit sentir le bouc (émissaire) chez le grignou :)
RépondreSupprimerMerci pour ce bon moment, SklabeZ
Merci Vegas.
SupprimerLe petit Perrig a très vite appris à se méfier des rumeurs.
Pas de chance ! les notes auraient pu se diluer dans l'eau. Moi aussi j'ai connu un grignou effrayant, mais pas méchant pour deux sous.
RépondreSupprimerBelle tranche d'enfance.
Pas de bol pour les notes en effet.
SupprimerLe grignou n'était effrayant que par ce qu'en disaient les "bonnes gens". Une réputation, ça tient à peu de choses...
Merci Santoline.
Joli conte, joliment conté, chapeau (et cap d'écolier) bas.
RépondreSupprimerMerci ! C'est trop trop ;-)
SupprimerC'est bien qu'il soit revenu sur son mensonge. Belle histoire d'enfance. Bravo Sklabez.
RépondreSupprimerUn mensonge, ça vous revient toujours à la figure... comme une grande baffe.
RépondreSupprimerMais ça ne nous empêche pas de continuer à mentir ;-)