LA PARABOLE DU TALENT par Santoline

Ils se bousculaient se précipitant le long des barrières, levaient la main en criant " moi !... moi !... moi j'en veux ! ... moi M'sieur! ... hystérie éphémère au moment du passage de la caravane publicitaire.
Les uns ramassaient des casquettes, d'autres attrapaient des drapeaux, plus loin des porte-clés, d'autres prenaient l'air contrit du loser (looser)* qui n'a jamais rien gagné.
Ben alors Juju, qu'est-ce que t'as foutu ?... t'as rien attrapé ?... faut se bouger mon vieux pour avoir quelque chose ... si t'attends que ça tombe tout cuit du camion, t'es pas au bout de tes peines mon vieux !
Juju a ramassé son camouflet puis est allé s'asseoir dans l'herbe en attendant les coureurs.
Les cyclistes étaient passés beaucoup trop vite devant lui, il avait juste senti le courant d'air, vu un arc en ciel de couleurs et entendu le bruit des roues libres après le passage du col mais il ne pourrait pas prouver aux copains qu'il y était puisqu'il n'avait rien ramené du Tour de France.
Juju s'en voulait de n'avoir pas été assez perspicace, il aurait dû mettre son blouson rouge, arriver plus tôt et se poster avant le col devant le groupe de supporters, il aurait levé la main et crié, sa voix aurait été entendue, alors qu'il s'était fondu dans ce groupe d'excités qui lui avaient arraché des mains les oripeaux de son périple.
Le lendemain, alors que la maîtresse inscrivit au tableau:
"Le talent, c'est la hardiesse, l'esprit libre, les idées larges" (Tchekhov)
... et avant même qu'elle eût commenté ce qu'elle venait d'écrire, Juju ressentit comme un malaise. Sûr, hier son esprit devait être passablement embrumé et ses idées courtes ... son père lui avait bien dit qu'il avait manqué de hardiesse ... Tchekhov ne serait pas fier de lui.
Mais aussi ... c'était à cause d'eux !... de son père qui ne l'avait pas réveillé assez tôt, de sa mère qui lui avait acheté un coupe-vent kaki, du mauvais temps qui l'avait obligé à mettre son coupe vent kaki qui passait inaperçu dans la foule, de ces malotrus qui lui étaient passés devant, d'Amstrong qui ne lui avait même pas jeté son bidon, de la mauvaise organisation et ses  barrières qui l'avaient empêché de se poster avant le col et puis même certainement du gouvernement, son père dit qu'il  pédale dans la choucroûte.
Juju se détendit, eût un sursaut d'amour propre ... il avait trouvé les coupables !... il n'était pas responsable de son échec, s'accorda l'absolution ... et somnola passivement le reste de ses jours.

*loser ou looser  : "Qui en veut à la terre entière de ce qu'il n'a pas su initier." (Santoline)

5 commentaires:

  1. L'important dans l'échec c'est de trouver au moins un coupable. De toute manière, le bidon d'Armstrong, c'était pas un cadeau :)
    Texte talentueux, Santoline!

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    1. Pour le bidon D'ARmstrong, j'y ai pensé en l'écrivant :))

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  2. Joli texte !
    Tu décris l'atmosphère avec talent "il avait juste senti le courant d'air, vu un arc en ciel de couleurs et entendu le bruit des roues libres..." En lisant ton texte, je perçois aussi l'odeur camphrée de l'embrocation ainsi que le chuintement des boyaux ou des pneus sur l'asphalte. On s'y croirait. Bravo Santoline !

    Juju n'a pas ramené de gadget, mais il aura au moins vu passer la deudeuche Cochonou, et ça, ça vaut tous les trophées du monde ;-)

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  3. L'EPO ça sent le camphre ? ;)
    ... bon sang mais c'est bien sûr, le chuintement des boyaux!!

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  4. J'aime ton texte : ça roule, ma poule !

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