LES GENS HEUREUX par Annick SB

Il faut admirer les gens capables d’être heureux.

Ceux qui se posent encore au bord du chemin, s’assoient et regardent en souriant les rayons du soleil briller en cherchant des trèfles à quatre feuilles sur le bas côté.
Ceux qui jouent au Kaiser sur une table bancale d’une petite place ukrainienne ensoleillée.
Ceux qui font pousser les graines, qui sèment et récoltent une terre inerte en sifflotant.
Ceux qui bâtissent, sculptent, cherchent, creusent, édifient encore.
Ceux qui conçoivent, coupent, cousent, brodent.
Ceux qui soignent sans fin.
Ceux qui habillés de lin prient pour implorer la paix.

Oui, il faut admirer les gens capables d’être heureux dans ce monde de cendres invisibles.
Contempler, jouer, patienter, protéger, inventer, prier… certes, mais à quoi bon !
Il faut les admirer sans rechigner, sans hésitation, sans vergogne, juste pour le plaisir de copier peut-être leur capacité à enfouir la tête sous le sable ; on pourrait nous aussi rapidement avoir besoin de ce savoir-faire un jour ou l’autre.
Il faut les admirer silencieusement, en cachette, pour ne pas troubler leur dernière activité.
Il faut épier leur force, leur inconscience, les tendre délicatement sur un fil de rêve accroché entre les deux plus hautes tours du pays, et se balancer sur ce fil en faisant briller les rayons du soleil dans tout l’univers.
Il ne faut surtout pas les interrompre dans leur manière d’être, de vivre, de croire, d’espérer et garder pour nous l’atroce découverte des matières radioactives qui vont faner les plants, des radiations ionisantes qui vont tuer les enfants, des rayonnements laser qui vont aveugler les passants, des risques biologiques qui vont affamer les survivants…
Non, il faut admirer avec une grande mansuétude et une immense pitié les gens capables d’être tout simplement encore heureux.

7 commentaires:

  1. Superbement écrit - je ne suis pas d'accord avec la pitié, mais cela ne change pas que c'est un texte intéressant, Annick SB.

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  2. Oui, le bonheur est un art qui demande des efforts...

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  3. Je ne suis pas d'accord moi non plus avec la deuxième partie du texte parce que, comme l'écrit Vegas, cultiver l'aptitude au bonheur, c'est un choix de vie.

    Mais bon, ce n'est pas grave, tu peux éprouver pitié, ça ne m'ôtera pas l'envie de continuer ! ;-)

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    1. @ Jo et Joe !!! La pitié est une émotion ; on n'a pas à être d'accord ou pas avec une émotion ; on la ressent ou on ne la ressent pas et pour moi, elle n'est ni négative ni tabou ; c'est une émotion qui me traverse l'esprit et le corps ( et donc la plume ) quand je pense aux personnes victimes de catastrophes nucléaires...

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  4. Désolé de la lecture à contresens. Je me demandais aussi ce signifiait "jouer au Kaiser sur une place ukrainienne". Je n'avais pas perçu le côté directement branché sur l'actualité de Tchernobyl et Fukushima.

    Du coup j'ai la réponse à la question de Joye : Jo c'est celui qui induit Joe en erreur ou plutôt qui enduit Krapov "avec de l'erreur" !

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  5. Comme nous ne sommes pas toujours capables d'être tout simplement heureux, admirons ceux qui le peuvent. Je les admire et il m'arrive de les envier.

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