ILIENS par Caro

Le bruit du coffre qui claque, le parking se vide. Nadia jette son sac sur l’épaule. Elle serre contre elle son gilet bleu. Les manches tirebouchonnent, mais elle en apprécie le toucher rêche, les torsades épaisses. Inutile de s’acharner sur les boutons, les mailles sont trop lâches. Il lui faut s’emmitoufler, et lutter contre la furie du vent.

Elle repère un bar-café-restaurant-tabac tout au bout de l’avenue. De par et d’autre, les tiges des palmiers ploient dangereusement. Elle marche lentement. Elle longe le parking. De l’autre côté, une plage qui doit être belle d'ordinaire, mais qui pour l’instant jette des poignées de sable sur l’asphalte, sur des voitures de plus en plus rares, qui filent, des poignées de sable qui giflent jusqu’à son visage. On lui a murmuré bien des choses sur cette île, que les autochtones pouvaient se montrer antipathiques, que c’était beau, une mer translucide, des paysages imprévisibles, inoubliables. Excepté la première proposition, tout est vrai. On l’a mise en garde à propos de grèves, de retards, habitudes locales de farniente. Qu’elle aurait peut-être du mal à rentrer en temps voulu.

C’est presque vrai. Elle devrait être sur le départ, dans une cabine, prête à passer une nuit en mer et arriver à bon port. Sauf que, là, elle avance sur une terre ferme, tout en regardant les rouleaux s’écraser, les uns après les autres. La mer a perdu son enchantement. L’écume est sale, des flots ternes s’abattent en désordre sur une plage encombrée de débris et de bouteilles.

Une bourrasque s’engouffre alors qu’elle pousse la lourde porte à double battant. Un instant, les lettres lumineuses ont clignoté, hésitantes, mais la lumière est revenue. Elle pose son sac par terre. Elle a faim. Le patron lui tend une carte. Ce sera un plat du jour avec un quart de vin. Il apporte la carafe et demande : « En vacances ? » Nadia essaye un sourire, explique que oui, que la mer houleuse retarde son départ. « C’est assez rare. Mais vous verrez dans quelques jours, tout sera effacé. » Un coup de chiffon sur la table. Elle observe la peau rouge du vin, emplit la moitié du verre, hume doucement l’odeur ronde, un peu glacée. Avale une gorgée. elle a froid soudain, elle sent le sable humide sur sa peau sur ses vêtements, son jean est raide de ciel humide. L’orage éclate enfin, elle l’entend alors que des hommes, des femmes affluent. Le patron revient, dépose une assiette remplie de tranches de saucisson et d’une tranche de fromage. Il sourit, hésite, se lance. « Si vous ne savez pas où dormir, j’ai une amie qui tient un hôtel à deux pas. Elle a toujours une chambre… si je lui demande. » Nadia sourit à son tour, ramasse l’adresse et le numéro de téléphone. Lorsqu’il réapparait avec le plat fumant, il annonce que ça y est c’est OK, qu’une clef l’attend à la réception. Elle lève son verre en guise de remerciement.

La nuit ne s’est pas encore déposée sur la ville et le bord de mer. Elle n’entend plus le vacarme qui fait rage au au-dehors, la porte reste close comme si on avait fait le plein de clients une bonne fois pour toutes. Une musique saccadée a envahi la salle. Certains s’exclament devant le match de foot retransmis sur un grand écran, au fond ; d’autres achètent des cigarettes, des bons à gratter. Elle imagine le vacarme du vent et de l’eau qui se soulève maintenant par paquets. Étrange non traversée. Se retrouver à quai, abandonner sa voiture sur le parking, se joindre aux milliers de passagers qui dormiront dans cette ville qui ne compte que quelques lignes dans les guides touristiques. Son portable est dans son sac. Elle n’a pas encore appelé. Il ne comprendrait pas plus le pourquoi de cette nature, imprévisible qu’il ne la comprend. Celle qu’il aime, qui part et réapparaît, qui ne s’attache jamais entièrement.

Une autre carafe a remplacé la première, une part de tarte aux pommes moelleuse a été posée sans bruit devant elle. Elle s’absorbe dans le dehors, où des tourbillons avalent le sable, le recrache, malmène l’étendue liquide. Sans relâche. Bientôt, non seulement, elle n’entendra plus rien, mais la nuit aura tout recouvert.

Elle soupèse la petite cuillère légèrement tordue au milieu, observe : ceux qui s’esclaffent, ceux qui se taisent. Visages inconnus, lieux inconnu. Elle ne connaît pas plus la chambre où elle va dormir. Elle ne sait pas jusque quand durera cette tempête. Elle sourit. Demain a disparu.

8 commentaires:

  1. cool tu l'as reçu ; tu peux changer la police si tu préfères... Je le mets sur mon blog.

    Beso caro

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  2. Non, j'aime comme ça si cela te plaît, mais je veux bien la changer si tu veux. Et pour le titre, c'est le bon ? Ou est-ce "Les Iliens" ?
    Merci beaucoup, Caro, ravie de te revoir ici.

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  3. celui qui habite une île. C'est très peu employé.

    Tu peux garder la police mais peut être mettre des espaces entre les paragraphes (mais ne te casse pas la tête...)

    C'est ma police préférée. :)

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  4. Non, non, j'ai compris le mot, mais ton .doc s'appelait "Les iliens" et ton texte disait "iliens". Voilà ma question.

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  5. zut j'ai encore fait une fausse manip, je t'avais déjà écrit un comm en début de semaine pour te dire que je participerai cette semaine et comme je suis à fond dans la rentrée...

    Non c'est juste que tous mes textes du trimestre s'empilent dans un grand fichier après je fais une copie et je renomme le tout, et j'ai rajouté le les... mais je préfère sans.

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  6. C'est vrai que de Iliens à Aliens il n'y a pas loin. Ces îliens semblent pourtant très humains. C'est le personnage central qui est une île, non ? C'est une possibilité, comme dirait l'autre ! ;-)

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  7. Superbe texte, que j'ai enfin pris le temps de lire, caro. Tu fais vivre ce lieu, le toucher, le sentir, l'ouïe, c'est vraiment excellent. Bravo, bravo, bravo !

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