La petite voiture est arrêtée dans l’une des nombreuses files à ce grand carrefour de la banlieue de Rotterdam. C’est madame Mégret, l’air soucieux, qui conduit. Jules, volumineux, rigolard, presque amorphe, chantonnant par moments des bribes de chansons, occupe la place du mort. Normal, avant-hier à Delfzijl il a cassé sa pipe.
- C’est marrant, Louise, dit-il, rien n'est moins sûr que l'incertain mais c’est le plus souvent à l’arrêt au feu rouge que tu ronges ton frein !
- Jules, tais-toi ! Tu ne dis que des bêtises ! Tu n’aurais jamais dû fumer le troisième de ces rouleaux coniques dans le dernier coffee-shop où on s’est arrêtés !
- Je n’y peux rien, ça a été plus fort que moi ! J’en ai besoin de ce tabac-là, maintenant ! Je suis en manque sans ma pipe et ce truc-là, j’y ai pris goût. Pour une fois qu’on trouve un pays où on peut fumer dans les cafés !
- Oui, mais pas la pipe !
- Merci du tuyau, j’avais remarqué, dès le premier jour ! Dans le port d’Amsterdam, y’a des marins qui pleurent…
Le feu passe au vert. Madame Mégret démarre mais comme elle n’a son permis que depuis un mois il lui arrive encore de caler. Ce qu’elle fait. On entend un grand « boum » à l’arrière. Elle vient de se faire emboutir… par une voiture de policiers hollandais !
- Toi, tu ne bouges surtout pas, tu ne dis rien, Mégret !
- Ca ne risque pas, je ne parle ni hollandais ni anglais ! Avec la Mer du Nord pour dernier terrain vague… Qui fait ses p’tites affaires avec sa p’tite auto…
Louise sort de la Twingo avec un formulaire de constat à l’amiable. Elle regarde les dégâts, discute avec les deux flics qui semblent très embarrassés. Mégret se ratatine sur son siège, regarde la scène dans le rétroviseur. L’un des deux policiers sort bientôt un portefeuille et remet une grosse liasse de billets à Madame Mégret. Puis, tandis qu’elle reste là un peu interloquée, ils remontent, démarrent, déboîtent à toute vitesse et disparaissent.
Mme Mégret revient, donne la liasse à Jules et remet la voiture en route.
- J’ai gagné ma journée ! Le pare-chocs est complètement défoncé mais pas autant que toi… ni autant qu’eux ! Ils n’ont pas voulu qu’on fasse de constat et m’ont dédommagée en liquide ! Il y a là de quoi acheter trois pare-chocs de Rolls Royce et rembourser en plus l’amende qu’on a ramassée sur le parking de Gouda !
- Mais c’est illégal ! C’est de la corruption de femme de fonctionnaire ! Par peur d’assumer leurs fautes, ils t’arrosent, ils te sucrent !
- Taratata ! Pourquoi tu tousses, Jules ? C’est pas du sucre en poudre, c’est du bakchich ! Autant que ça nous profite à nous. Même, tu pourras t’en racheter un, de rouleau conique, avant qu’on ne rentre en Belgique !
Tout le restant de la route du retour vers la France, Mégret reste silencieux, lorgnant de temps en temps en douce sur sa compagne comme s’il venait de découvrir en elle quelque chose qu'il n'avait encore jamais vu. Puis il hausse les épaules, se dit qu’il n’a pas à juger et il retourne sur son petit nuage. Ca plane pour moi ! La deuxième partie des vacances, où ils sont invités chez le bedeau de Meung sur-Loire, sera sans doute plus reposante que celle-ci. Bientôt il somnole tandis que maintenant, Louise s’est mise à chanter de son côté, faux et presque à tue-tête, son répertoire de chansons de Brassens.
Au moment où la Twingo cabossée passe le semblant de frontière entre le semblant de Belgique et le semblant de République française, elle est rendue à « Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens » et ça la fait bien rire !
Tout s'éclaire !
RépondreSupprimer:D
Bah, Mince ! Moi qui croyais que Mégret était parfait :-)
RépondreSupprimerMégret de Canard, tu dis, Joe ?
RépondreSupprimer(okay, je sors pas, mais je me ferai menue, menue)
;o)