LA CLOCHE ET LA PROCESSION par joye

Ma cousine Constance était un cas. Plus cloche qu'elle tu meurs, comme disent les jeunes d'aujourd'hui. À l'époque, on lui avait dit de se méfier du Père Gaston, un méchant vioque qui utilisait sa canne pour soulever les jupes des filles qui ne faisaient pas attention à leurs fesses, et hop là ! il réalisa un petit spectacle pour tous les passants. On aimait bien - enfin, les garçons et les hommes célibataires et encore quelques pères de famille aimaient bien fréquenter Papy Gaston, et on lui payait à boire, parce que quand il était un peu sonné, il oubliait son arthrite et hop là ! Encore une paire de fesses pour la galerie épatée !

Or, c'était à la pardon de Ste Edwige, et ma cousine Constance avait été choisie pour porter la couronne. Rien d'étonnant, on choisissait toujours Constance. Quand nous étions petites, c'était toujours elle qui jouait la Vierge de la Crèche, et plus jeune, c'était même elle qui jouait le petit Jésus dans l'étable, me dit-elle. Je ne savais pas, je ne me souvenais pas de ça, mais Constance prit souvent la peine de me rappeler que c'était elle la plus belle du village. Moi, à Noël, j'étais souvent choisie pour jouer le baudet, un rôle que j'aimais bien jusqu'à ce que Constance me fasse savoir d'un air dédaigneux que jouer le baudet, c'était pas un compliment !

Après ce coup-là, j'étais inconsolable, et il fallut que Maman m'explique la fable de La Fontaine qui disait que patience et longueur de temps faisaient plus que force ni rage. Je ne dis pas à maman que je n'aimais pas l'histoire, je ne la comprenais pas bien parce qu'à six ans, longueur de temps n'est qu'une heure, et cette stupide Constance ne souffrait pas encore, mais Maman sentait bonne et elle était rarement câline et j'aimais toujours quand elle avait un moment pour moi seule, donc, je me tus et me laissai faire, et bientôt j'étais endormie, et le lendemain, je jouai le baudet et personne ne pensa à me dire que je brayais exactement comme il fallait, ils s'intéressaient trop à faire des compliments à l'impossible Constance.

Alors, bon, je grandis dans l'ombre de ma cousine, bête comme mes deux pieds. Je pris l'habitude de ne jamais être choisie pour porter la couronne lors des pardons.  Heureusement pour moi, ma beauté se trouvait dans mon cerveau, et bien que personne n'aime vraiment une fille intelligente, je pense que Papa et Maman étaient fiers de moi.

Or, on dit encore aujourd'hui que la vengeance est un plat qui se mange froid, et, que pour faire une omelette, il faut casser des oeufs, mais à seize ans, je ne savais plus attendre que Constance trébuche et perde un peu de sa gloire. 

Je choisis alors mon moment.

C'était le jour du pardon de la Ste Edwige. Nous avions seize ans, elle et moi.  On en parle encore dans le village, de cette scène où le vieux Pépère avait soulevé la jupe de la belle petite blonde qui - à la honte de toute la famille - ne portait rien du tout sous ses jupons.

Et même aujourd'hui, personne ne sut jamais qui avait payé à boire au vieux Pépère Gaston ce jour saint, ni qui avait volé à Constance au dernier moment sa belle culotte de fête.  

4 commentaires:

  1. Rho la,la ! Une vengeance terrible.

    Bien joué, Joye. :-)

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  2. Je ne dirai pas qui c'est, ce serait du versiflage !

    "A la Sainte Edwige
    Personne n'aime les litiges :
    On préfère le tapage
    Que l'on fait dans les lits-cages !"

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  3. Il ne fait pas bon contrarier cette jeune fille. :)

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