MEME LES TYPOGRAPHES COMMETTENT DES FAUTES MORALES EN COMPOSANT « COQUILLE » par Joe Krapov

Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat, la statue est toujours à la même place et la chambre de Richard est jaune, tout illuminée du chaud soleil d’été qui brille à Meung-sur-Loire.
A l’issue du repas, Mégret s’est endormi sur la terrasse dans l’un des transats proposés par le bedeau noir. Un peu comme partout en France on ne trouve plus de curé blanc pour assurer la messe et ce sont bien souvent des hommes de couleur qui suppléent à la tâche. En Bretagne parfois l’Afrique et le Trégor, culturellement, se fritent.
A Meung-sur-Loire où, depuis quelques années, ils viennent passer leurs vacances en attendant peut-être de s’y installer définitivement, Jules et Louise Mégret se sont pris d’amitié pour ce Richard, un laïc bien conservé, bien charpenté, aux yeux très bleus, qui est revenu à la religion après avoir perdu son épouse. C’est une espèce de veuf joyeux, paisible, solide, au charme duquel dame Louise n’est pas insensible.

meung 

Pour l’heure, alors que montent dans la cour les premiers ronflements de Jules, elle et lui sont en train de feuilleter l’album de famille du sacristain faisant office de.
- Votre épouse était très jolie et vos enfants sont adorables.
- Ils ont changé, maintenant, ils sont devenus adultes et sont partis vivre loin tous les deux.
- On ne vous voit pas beaucoup sur les photos de cet album ?
- C’est le cas de tous les photographes ! On ne peut pas sonner la cloche et suivre la procession ! Si je puis dire !
- Dieu merci, nous-mêmes n’avons pas eu d’enfants. Je ne sais s’ils n’auraient pas souffert d’avoir un père policier, alcoolique et fumeur.
- Ce sont là des péchés véniels, Louise !
- Vous savez, Richard, qu’il s’est mis à fumer autre chose que la pipe en Hollande ? Et pas du gouda pour autant, je vous prie !
- Ah oui ? Cela, oui, c’est illégal. Mais bon, selon que vous serez puissant ou misérable…
- Ah ça, pour être misérable, il l’est ! Comment j’ai pu supporter aussi longtemps ce gros patapouf toujours maugréant qui rentrait soûl, me réveillait la nuit, revenait à pas d’heure après avoir torturé de pauvres gens en leur poussant la chansonnette dans des lieux de perdition, je me le demande encore !
- Mais grâce à ce travail, il a assuré votre pitance ?
- Il m’a toujours interdit de travailler, ce phallocrate ! Il les faisait se mettre à table et lui, en rentrant il faisait pareil. A la maison il ne savait faire que ça, mettre les pieds sous la table, grailler, bâfrer et picoler !
- Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. Il faut manger pour vivre…
- … mais lui ne vit que pour manger ! Pensez-vous que cela puisse constituer un motif de divorce ?
- C’est peut-être un peu tard maintenant ! Et puis, malgré que vous en ayez et puisque vous en avez, la Religion, vous le savez, interdirait plutôt qu’on recoure à cette procédure-là.
- Alors… C’est donc définitivement cuit pour nous deux ? Je le sens bien, pourtant, que nous sommes faits l’un pour l’autre et que nous pourrions repartir d’un bon pied pour nous reconstruire une nouvelle vie !
- Taisez-vous, Louise ! J’en meurs d’envie, autant que vous ! Mais tant qu’il sera là…
- Si l’Eglise est opposée au divorce, j’imagine qu’elle ne verra pas d’un bon œil non plus qu’on le fasse disparaître ?
- « Tu ne tueras point » est en effet un des commandements majeurs de notre maison mais…
- Mais ?
- Mais la vie, parfois, est faite d’accidents !
- Que voulez-vous qu’il arrive à Mégret ? Il lit le journal, il fait la sieste, il va jouer sa partie de cartes au café tous les après-midis. De temps en temps il va à la pêche ou aux champignons. Il profite de sa retraite d’une façon scandaleuse. Quand je pense à tous ces pauvres diables qui s’en vont trimer plus pour gagner toujours moins, ça m’écœure !
- Pas de politique, Louise ! Pas de politique ici !
- De plus le docteur Faitexcuze prétend qu’il a une santé de fer ! Et un accident, on en a déjà eu un en Hollande. Je vous l’ai raconté.
MIC_110919_oeufs- Ce que je voulais dire, c’est qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs
- ???
- Vous dites qu’il va aux champignons. Et s’il en ramenait qui ne soient pas comestibles ?
- ???
- Vous vous y connaissez en amanites ? Moi je connais des coins, dans le bois du Lude, où l’on trouve des serpents venimeux et des champignons vénéneux.
- Serait-ce bien raisonnable, Richard ?
- Les voies du Seigneur sont impénétrables et la gourmandise est un péché capital. Ne nous appartient-il pas de remettre dans le droit chemin ceux qui ont commis des fautes morales, les mécréants épicuriens, ceux qui taquinent la carpe et font les chauds lapins en dehors du mariage ?
- Ce n’est pas trop son genre mais je bois vos paroles comme du petit lait. Richard, en matière de sagesse, vous me semblez un orfèvre.
- Tout ceci reste secret pour l’instant, OK ?
 Elle se jette dans les bras du grand black aux yeux translucides. Elle se colle contre lui, puis lève la tête et l’embrasse goulûment. Par-delà la ligne bleue du regard qui, de place en place, évoque les Vosges débarrassées de la déesse Kali, elle se remémore avec bonheur les derniers propos de Richard le noir qui lui ouvrent un boulevard.

2 commentaires:

  1. Très bon ! Mais je croyais Mme Mégret très attachée à son mari, enfin, on se fait des films, parfois :-)

    J'attends la suite avec impatience. Vont-ils emmener Mégret aux champignons et mettre leur plan à exécution ? Ou bien, la fin serait-elle bien plus surprenante que ça ?

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  2. Houla, houla ! Sacrés champignons vénéneux !!!

    ;o)))))))))))))))

    Mais je pensais qu'on fritait exclusivement en Belgique une fois ?

    (oui, bon, je sors)

    (mais zarrête de pousser, hein ?!)

    ;o)

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