JUSTE AVANT par Caro

Leurs peaux à tous les deux contre moi. L’une douce comme la soie, l’autre à peine plus âgée. Et ma peau de peluche râpée tout contre. Je respire le calme de l’un, sourire plein de sommeil, le nez fourré dans son cou à elle. Et elle, son parfum qui se mêle au vent lourd et glacé de la mer.

Nous avons quitté l’appartement ce matin. La veille, un camion avait embarqué des cartons et des meubles. Elle avait laissé sur une étagère une lettre, une lettre pour dire à cet homme qu’elle le quittait avant qu’il ne la quitte, avant qu’il ne lui prenne tout pour rejoindre cette grue qu’il sautait depuis avant la naissance de Jonathan. Avant qu’il la laisse à sec avec le petit. Et moi. Elle nous a réveillés doucement, elle est comme ça ; il y avait un biberon à côté du lit et un sac de voyage. J’ai senti, sur ma peau rugueuse d’avoir été trop lavée et embrassée, l’aube froide.

Une traversée de la ville en métro et une gare, des rails, jusqu’à ce port. Elle a pris un sandwich après avoir nourri Jonathan d’un petit pot. Le petit l’a avalé docilement. Puis nous avons marché. D’abord dans un dédale de rues suintantes de pluie. Ensuite le long du canal, jusqu’à l’écluse. Et nous sommes restés là, l’eau grise tremblait au-dessous de nous, et moi aussi. J’ai senti cet instant de vertige où elle nous aurait presque lâchés, la clef, l’enfant et moi. J’ai fermé les yeux, au bord du vertige et j’ai cru sentir l’eau froide se refermer sur nous. J’ai frémi en sentant l’hésitation la parcourir. J’ai surpris l’éclat lointain de ses yeux verts, elle les a fermés un instant presque trop long et… son corps s’est penché brusquement. Et puis non, elle s’est redressée tout aussi vite. Elle nous a serrés très fort contre elle et elle a rejoint l’embarcadère.

Plus tard, j’ai senti le roulis de la mer qui nous emportait vers un autre pays, un appartement minuscule dans une ville bondée à l’accent étranger. Une femme et un homme nous attendraient sur un quai clair, ils auront le geste tranquille de ceux qui savent accepter sans demander. J’ai aussi senti le goût salé de ses larmes qui se perdaient dans les cheveux de Jonathan et sur ma peau rêche de secrets et de câlins, mon cuir d’ours de peluche. Je crois que la mer voulait nous signifier quelque chose. Peut-être que sans sel la vie n’était rien. Ou peut-être n’était-ce que le murmure des vagues.

4 commentaires:

  1. Caro. Frissons.
    Texte impeccable.

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  2. Émouvant !
    La vie nous réserve aussi des épreuves. Pas toujours évident de trouver les ressources pour y résister.
    Beau récit, Caro.

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  3. Une histoire émouvante.
    Bravo pour ce texte.

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  4. Magnifique évocation d'une sensibilité..dans les méandres de nos mémoires..la peau se souvient.

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