Hier, tout ton matériel photo encombrait la table. Et aussi ta musique, tonitruante, avec des accents de guitare électrique à réveiller une adolescence qui, chez toi, ne semblait pas avoir évolué d’un iota. Tu as voulu m’embrasser ; là c’était mort. J’ai claqué la porte et je suis partie avant toi.
À minuit, après mon sixième ballon de bordeaux, j’ai hésité : danser sur une table et passer la nuit avec le mec plutôt mignon qui me matait, ou me casser. Je me suis cassée. Même si j’aurais pu feindre que ses mains peut-être douces, peut-être expertes, soient les tiennes. Que le tout puisse déboucher sur une savoureuse séance de cul. Je n’aurais pas pu me mentir longtemps. Je me suis alors fait cette confession express : à savoir que le gars avait en effet une magnifique bouche, le style mince pour lequel je tuerai frère, ex et peut-être même ma mère. Et peut-être même cachait-il sous ses fringues de beau gosse une queue qui sache battre le bon tempo. Bref, même avec pareil coup de pot, je ne crois pas aux ersatz de toi. J’ai filé un billet à Jeannot, le patron du rade, et je me suis cassée avant que le gars s’excite pour de bon.
Je me suis rappelé cette carte que tu m’avais offerte. Il y avait cette phrase sibylline au dos. Les erreurs ont presque toujours un caractère sacré. N'essaie jamais de les corriger. - Salvador Dali. À l’époque, j’étais amoureuse et, de fait, légèrement idiote. J’avais accroché la carte à mon frigo, la première d’une longue série de déferlantes, de mer déchaînée et d’océans rugissants. Tu aimais les équinoxes et les grandes marées et c’est là, avec ton attirail de reporter nature, où tu te faisais un max de fric. La photo est toujours là, ça n’aurait servi à rien de la jeter, je la vis par cœur, chaque jour à tes côtés. Les erreurs sacrées.
Je suis donc rentrée. J’ai visionné des téléfilms médiocres et des documentaires réservés aux insomniaques. Le lendemain, j’ai calculé qu’il me faudrait une double ration de café pour tenir jusqu’à midi. Pareil pour l’après-midi et le repas avec mon créatif. Rebelote le lendemain. Et puis soudain, tout est revenu à la normale. Les réunions ne m’ennuyaient plus, je fignolais sans trop de retard la plaquette avec l’agence de pub. Je sentais monter l’adrénaline comme pour tout lancement de nouveau produit : le concevoir de A à Z, concocter les études, fabriquer un panel fiable. Je pensais à toi seulement le soir en apercevant la mer en furie accrochée au frigo. Dieppe avait été ta dernière destination. Là, vu que nous nous étions salement engueulés, je n’ai même pas voulu savoir. Je te faisais donc un petit coucou que tu sois à Punta Sal ou à Boulogne.
Finalement, je n’étais pas là quand tu es rentré. Une urgence, quelqu’un à remplacer pour une négo chez un client important en Allemagne. Ça ne m’a fait ni chaud ni froid : quelques jours sans penser à toi ne pouvaient que me désintoxiquer. Et le plus dingue c’est que ce fut le cas. J’ai eu l’impression de me retrouver, d’avoir plus que des idées claires, mes idées claires.
Ce n’est pas qu’être tombée amoureuse de toi ait été une erreur. Non… C’est de t’avoir laissé agrafer mon cœur et ma raison à des phrases idiotes. De m’être laissé faire et d’avoir été assez paresseuse pour rester. D’avoir cru qu’il fallait inscrire tes pensées dans ma chair pour me sentir encore plus proche de toi. Des conneries tout ça.
Mais là je suis seule, tu es loin. Le refrain qu’un livre a laissé tourne en boucle dans ma tête, gentiment, et écrase tous tes équinoxes et tous tes mots d’amour. Un refrain en sourdine laissé pour mort dans un coin de ma raison. Un refrain, où bat ce à quoi j’aspire… la si désirable et presque inaccessible désinvolture d’aimer.
Tous les éléments sont incorporés habilement et subtilement dans cette histoire de rupture. J'aime beaucoup ton langage aussi, il a une authenticité que je ne saurai jamais réussir. Bravo caro !
RépondreSupprimer"la si désirable et presque inaccessible désinvolture d’aimer.", c'est beau !
RépondreSupprimerUn trés joli texte où tu intégres brillament toutes les consignes. Grand bravo Caro !
J'aime bien ton style, osé, cru, léger, délicat ou sensible. Jamais déplacé et toujours adapté aux situations et circonstances. Ton lecteur peut ainsi revêtir l'habit de ton ou tes personnages et vivre une histoire qu'il peut faire sienne. Merci et bravo !
RépondreSupprimerTrès bien écrit, chacun peut y trouver son compte dans certains passages :)
RépondreSupprimerMerci