GUSTAVE par joye


Je n’aime pas aller aux bords du Ruzizi pour chercher l’eau de la famille. C’est là où vit Gustave, le gros crocodile, croqueur des hommes. Mais parfois, c’est connu, il croque aussi les petits gars comme moi pour son quatre-heures. C’était mon ami Jules qui me l’avait dit et Jules, qui était grand et beau, avait une vache à lui tout seul, héritage de son grand-père. Et Jules, lui, ne mentait jamais, c’était connu.

Alors, quand Jules tomba amoureux de ma sœur, Félicie, c’est moi qui leur servais d’intermédiaire. Chaque soir quand il fallait chercher l’eau, je tombais toujours sur Jules, en train d’abreuver sa vache. Il avait toujours un mot à me dire, un seul mot, que j’étais censé répéter à ma sœur dès mon retour. Non, je ne peux pas te les dire, ces mots, c'était un secret, ils étaient seulement pour l’oreille de ma sœur, Jules avait été formel.

Ma sœur, par contre, n’avait jamais de mot pour Jules, mais j’aimais la façon dont ses yeux luisaient à chaque fois qu’elle entendit un de ses messages. Ses yeux devenaient comme deux étoiles dans le ciel la nuit où il n’y a pas de lune. Pendant le reste de la soirée, Félicie fredonnait comme font les abeilles dans les fleurs blanches qui sentent le citron et qui poussent aux bords du sentier qui amène au Ruzizi.

Mais un soir quand j’arrivai au fleuve, Jules n’était pas là.  Je regardais bien parce que je savais que Félicie attendait son mot. Sur la grève, j’ai retrouvé des roseaux aplatis comme sous un grand poids, des taches noires par terre. Soudain, j’ai entendu un bruit. Me retournant, je vis la vache de Jules, abandonnée. Elle me regardait de ses grands yeux marron et je compris  qu’elle était maintenant à moi. Après tout, Jules m’avait souvent dit qu’on ne peut donner ce qui ne nous appartient plus. Jusqu’à ce moment, j’avais pensé vaguement qu’il parlait de ma sœur.

Je pris rapidement mon eau et puis, je rattrapai la corde nouée autour des cornes de ma vache. Je me dépêchais pour rentrer. Papa et maman ne poseraient pas de questions pour la vache, mais je ne savais pas trop ce que j’allais raconter à ma sœur. 

Toutefois, j’imaginais bien qu’il n’y aurait pas d’étoiles cette nuit.

10 commentaires:

  1. vegas sur sarthe25 mars 2012 à 13:57

    J'aime beaucoup l'histoire de ce messager de l'amour malgré le terrible dénouement imposé par ce gourmand Gustave

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comment sais-tu que c'était Gustave ? ;-)

      Je plaisante, bien sûr, ce que je veux dire c'est merci pour tous tes mots aimables d'encouragement. Je t'en suis reconnaissante.

      Supprimer
  2. Moi à ma soeur , je lui aurait dit Meuuuuuuuuuuuuuuh !...
    C'est pas marrant!... je sais, mais j'avais envie de dédramatiser... je ne crois pas à Gustave, Jules est un infidèle c'est tout !
    :))
    Bravo Joye pour ton imagination.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Depuis trois ans, j'ai des étudiants du Congo, ce sont eux qui m'ont appris l'existence de Gustave. Le Jules que je connais personnellement, c'est un grand et beau jeune homme, pas menteur pour deux sous, et qui a hérité d'une vache. Le reste est fiction, bien sûr.

      Merci à toi pour ton commentaire vraiment sympathique, santoline !

      Supprimer
  3. C'est triste une nuit sans étoile.

    Un joli texte que tu nous offres, Joye. Bravo. :-)

    RépondreSupprimer
  4. j'aime le choix des prénoms, la lenteur de la déclaration.. Bon le dénouement il est dur à .. avaler.

    RépondreSupprimer
  5. Les étoiles pleurent et Félicie aussi ...
    Belle histoire Joye, belle histoire.

    RépondreSupprimer