"Dans chaque lit, il y a des poux" cancanait Norine de sa voix nasale en secouant énergiquement le drap malgré ses maigres bras.
Les
jours de lessive après avoir été secoué huit fois, le drap allait
rejoindre les taies d'oreiller dans une grande bassine d'eau fumante qui
lui donnait les trois sueurs.
Il faut dire qu'avec son chignon
relevé et sa blouse défaite sur ses seins généreux, elle tourbillonnait
dans la chambre telle un parpaioun en plein cagnard.
Avant son
attaque cérébrale le papet aurait
entonné son fameux 'De profundis morpionibus' en hommage aux morbacs en
question mais aujourd'hui il se contentait de frapper le sol avec sa
canne d'olivier ce qui pouvait tout aussi bien signifier son approbation
ou sa colère.
Mais il n'avait compté que sept fois et se tournant
péniblement vers Norine il la vit, le geste en suspens qui regardait de
l'autre côté de la rue par la fenêtre grande ouverte.
En face, malgré la lumière du jour même un aveugle aurait pu voir briller l'applique colorée sur la porte du père Caboufigue.
Le
vieux frappa de nouveau le sol avec la canne d'olivier mais les poux
n'étaient pas en cause... Caboufique avait déclenché sa balise comme un
appel pressant à venir jouir de la nuit prochaine.
Norine se mit à
chantonner tout bas d'une voix soudain plus cristalline et le papet sut
qu'il serait encore seul cette nuit jusqu'au petit matin.
Quel gâchis! A quoi bon laver les draps chaque quinzaine
quand Norine n'y dormait guère que la moitié du temps...
Avant
l'accident il aurait bandé son lance-pierre, flingué sans trembler et
d'un seul coup la lanterne maléfique, collé quelques mandales à ce rival
mais les jeux étaient faits et demain elle rentrerait comme à
l'habitude échevelée, la mine défaite et traînant son corps lassé des
frasques d'une nuit blanche.
Il eut un rictus bizarre au coin
de la bouche... "Dans le lit de Caboufigue, il y a aussi des poux"
pensa-t-il si fort qu'il crut l'avoir dit.
L'idée que ces misérables
bestioles colonisent l'intimité de Norine et s'installent aux premières
loges pour assister aux ébats le faisait devenir chèvre aussi
chassa-t-il cette vision d'un large coup de canne.
"Té vé, papet!" rouscailla Norine "quelle mouche te pique donc, que tu t'escrimes comme un fada ?"
Elle semblait toujours attendre une réponse qui ne venait jamais et dans ces moments-là,
posait sur le vieux un regard de vinaigre sans complaisance.
La
suite il la connaissait par coeur: après la lessive viendrait le ménage,
la blague avec les voisines, puis le repas frugal fait de rataillons
sur un coin de table suivi d'une interminable sieste.
Vers dix huit heures elle lui préparerait sa panade ou une morue trempée puis monterait se faire belle avant de s'échapper...
Après...après...
le galapia d'en face éteindrait sa lanterne magique - celle qui attire
les radasses comme un lamparo accroché au pointu - et poserait ses sales
pattes sur les seins laiteux et la croupe avenante de sa Norine et sur
sa mounine aussi, et bien sûr, elle aimerait ça.
Quand on n'a plus
qu'une canne d'olivier à brandir et deux yeux usés pour jouir de la
brève échancrure d'un corsage, on se résigne... c'est tout.
Excellentissime !
RépondreSupprimerD'abord, je pensais à la Gervaise de Zola, mais ensuite, voyant Papet et Caboufique qui m'a fait penser à Piquebouffigue de Pagnol, je revoyais passer "Jean de Florette" dans ma tête, et d'un coup, je sentais la chaleur de tout un été sans pluie.
Excellentissime ? que dis-je, c'est sensationnel !
Un grand bravo, Vegas, pour ton talent qui nous amène du comique au sérieux au tragique sans brûler aucune étapes.
Tout ça pour dire : j'admire !
Bravo de nouveau, une fois ne suffit pas, à mon humble avis !
Merci Joye. C'est vrai qu'en cherchant des mots du patois provençal j'ai pensé comme toi à Pagnol dont j'adore l'oeuvre
SupprimerCroustillant à souhait comme d'habitude !... Bravo !
RépondreSupprimerPauvre Papé !... on touche avec les yeux maintenant !
mais, une question... pourquoi 8 fois ?
Pourquoi huit fois? Je n'en sais rien mais c'est moi qui décide... Hi Hi Hi
SupprimerJamais je ne pourrai endurer une telle situation ! Un vrai supplice de Tantale !
RépondreSupprimerLa dure réalité de la souffrance de Papet magnifiquement exprimée ici, crûment et sans détours.
Une autre facette de ton talent Vegas ! J'adore !
Un supplice en effet, SklabeZ! Comment ai-je pu prendre autant de plaisir à l'écrire? J'ai dû me prendre pour Caboufigue :)
RépondreSupprimerEncore un coup, j'en jurerais, de l'obsolescence programmée ! Mais celui qui a inventé ça ne pouvait pas prévoir que tu en ferais un admirable conte à la Pagnol/Daudet/Vegas-sur-Durance !
RépondreSupprimerUne histoire admirablement contée et oui, pauvre papet ! Chapeau bas.
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