L'AVENTURE D'UNE VIE par Joe Krapov

"Quel besoin avons-nous de quitter nos tanières ?
N’étions-nous pas heureux auprès de nos parents ?
Ils nous avaient bordés de bonheurs apparents
Et nous sommes partis courir dans les ornières !

Allons ! En vérité, sont-ce là des manières ?
Loin des yeux, loin du cœur, toujours désobligeants,
Nous leur vantons l’Ailleurs ! Nous sommes affligeants
A brandir dans le vent du chagrin nos bannières

D’aventuriers soucieux d’aller toujours devant
Affronter des armées de vieux moulins à vent !
Eux restent pleins d’amour vieillissant à l’arrière.

Nous les voyons aller un peu couci-couça,
Papa qui ne dit rien, maman qui fait la fière
Ils sont du même signe que Sancho Pança."

L’animateur a posé son stylo, a repris la carte postale et l’a relue :

MIC 2012 11 26 Carte postale verso

MIC 2012 11 26 Quijote et sancho

Il a pensé qu’il en était de même pour tout le monde : ce n’est pas rien d’être parent. Pour certains c’est une fois ou deux ou trois par an que la progéniture fait un saut en voiture pour les voir se débattre avec le quotidien, pour partager les mots du mal-être au travail, ceux pires encore du malheur de n’en trouver pas ou plus, d’en être exclus parce que le monde marche sur la tête.

Il va si vite, on arrive si rapidement à l’âge d’être dépassé qu’on se retrouve un jour coincé entre des tas d’angoisses quasiment touristiques. La réservation par Internet de l’hôtel a-t-elle bien fonctionné ? Dois-je composter mon e-billet ? Ai-je pris le bon chemin ? Dans la ville, dans la vie, trouverai-je ma place ?

En Alcala de Henares, qui va pêcher Léna la petite gambas ? Dans l’auberge espagnole, trouvera-t-elle meilleure nourriture, meilleure aventure, meilleure armature qu’en l’Université de Haute-Bretagne ou pourtant les roulements du Tambour – c’est le nom de la salle de spectacle – donnent bonne culture ?

 

MIC 2012 11 26 timbales

Décrochera-t-elle la timbale, le carnet de bal exceptionnel, le Graal sensationnel, le diplôme à douze balles qui la feront danser sur l’échelle sociale, gagner une vie professionnelle aussi épanouissante que celle de papa et maman ? Cependant il faut bien avouer, maintenant qu’ils sont en retraite, que leurs souvenances se font parfois évanescentes ?

Faut-il par ailleurs se mêler de la vie personnelle de la donzelle ? Comme on lui a lâché la main pour qu’elle effectue ses premiers pas, ne faut-il pas lui lâcher les baskets pour qu’elle gère ses premières conquêtes ?

Ce qui plaît le plus à l’animateur, finalement, c’est l’axe Nord-Sud qui traverse cette carte postale envoyée par des gens de l’Ouest à des gens qui sont à l’Ouest. Car grâce à Erasmus il y a le vent du Nord qui souffle sur l’Escaut jusqu’à l’Estremadure. Sur un canal pendu une péniche lourde amène de là-haut l’éloge de la folie qui rassure sur tout ! Regarde bien, petit, dans le port d’Amsterdam, la sagesse des vieux qui contemplent le monde avec leur bienveillance, leur pendule au salon qui dit oui qui dit non, qui pensent « au suivant » et mettent, en leur tanière quelque peu désertée, des fleurs en lieu et place des bonbons d’autrefois.

En même temps, se dit-il, ça doit être un peu chiant de devenir grand-parent !

P.S. Et moi je ne vois pas pourquoi je vous embête avec ces préoccupations-là. J’ai bien le temps de les avoir plus tard : je suis comme vous, je n’ai que 23 ans !

3 commentaires:

  1. Quel magnifique sonnet d'entrée !
    Béat d'admiration devant la prestation.

    Bravo Joe, un vrai boulot derrière tout ça !

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  2. C'est vrai, Joe, tu seras bientôt Papy ? Heureux petit-enfant qui a su si bien choisir sa génétique !

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  3. C'est vrai que tu nous emm... avec tout ça mais j'aime tellement quant tu mélanges les consignes y compris "le chagrin du vent" ! Alors ça me coûte mais Bravo Joe :)

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