ROUE DE FORTUNE par Joe Krapov

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Lorsque j’étais bateleur d’un orchestre de jazz, j’avais pas mal de temps pour moi entre deux concerts. Je savais que la roue de la fortune ne tournerait qu’un temps en ma faveur aussi avais-je repris des études de voyante extra-lucide par correspondance (CNED-toi, le ciel te CNEDera, dit le proverbe). Il y avait l’option astrologie, la filière marc de café et même une UFR boule de cristal et foulard gitan mais j’étais surtout taraudé par les cartes du jeu dit de Marseille.

Je tenais aussi à l’époque une espèce de journal intime sur des cahiers à petits carreaux dans lesquels je balançais toutes sortes de choses.

A la suite d’un rêve étrange fait récemment, je suis allé il y a peu dans mon grenier récupérer un de ces vieux cahiers. Le rêve que j’avais fait se déroulait sur un marché aux puces. J’y faisais l’acquisition d’un journal intime. Je le feuilletais : il y avait des dessins, des mots, des photos collées ou glissées entre les pages. Sur l’une d’entre elles, je me reconnaissais. En fait, ce document que j’achetais, c’est moi qui l’avais rédigé !

Ce vestige de l’âge du jazz que je suis allé rechercher pour le comparer à ce que j’avais vu en rêve, j’y ai trouvé des notes et des aphorismes dont je vous livre ici quelques extraits. Ce n’est pas qu’ils vaillent grand-chose mais…

 

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Combien de miles le fou qui escalade la montagne peut-il parcourir avnt qu’il ne dévisse ?

La tiare déposée du pape et les chaussettes de l’ArchieChepp sont-elles sèches archi-sèches ?

Toujours énervé par sa femme , l’empereur Georges qui ne la comprend guère chouine.

Si tu as le tempo rance, fais preuve de tempérance. Méfie-toi de cette fragrance, ne t’en parfume pas trop. Si une femme sans parfum est une femme sans avenir un homme qui sue est un homme qui pue et ça, ça tue !

Qu’est la corde du pendu sinon un licol porteur ?

A s’agiter entre ses fûts et ses caisses pour ne pas être à contretemps, le batteur n’en a guère pour s’adonner à l’art Tatum du contrepet.

Ce rêve que j’ai fait et son prolongement réel retrouvé dans mes archives m’ont donné une drôle d’idée. N’aurais-je pas finalement, à force d’étudier alors, hérité de capacités médiumniques ? Ne possèderais-je pas le pouvoir d’influer par les rêves sur la réalité ? Si j’allais par exemple, en rêve, sur le même marché aux puces, tomber en arrêt devant un livre sans titre qui deviendrait, une fois publié un best-seller qui me rendrait riche au point que je doive m’exiler en Irlande ou en Belgique pour ne pas payer trop d’impôts à l’administration de mon pays natal ?

Au sortir de ce deuxième rêve, je monterais dans mon grenier et j’en redescendrais avec un des manuscrits qui y dorment. Si le livre dont tout le monde a besoin était là, il me faudrait trouver aussi la force d’aller faire la pute chez un éditeur. Il me faudrait également prendre un pseudonyme pour ne pas avoir honte d’être un aussi mauvais citoyen. Je crois que je choisirais quelque chose comme Rodrick Nosferas. Est-ce que ça vaudrait le coup de n'être plus soi-même, de devenir un "je" qui serait un autre comme disait Rimbaud ?

Allez, au diable la magie ! Jetons au loin ces cartes de sorcière et ces souvenirs de l’époque où j’étais bateleur. Je n’ai pas envie de rencontrer des journalistes qui ne comprendront rien à ma démarche artistique. Je n'ai pas envie d’apprendre le belge pour économiser du fric. Je préfère continuer à demeurer sur le quai Saint-Cyr à Rennes où la véritable paix niche et où, par-dessus mes disques de jazz, je puis m’adonner à ma passion de toujours : la batellerie*. Tant pis si ce manque d’ambition fait jazzer dans le Landerneau littéraire d'après-demain !

* La batellerie est l’art du bateleur : cela consiste à rêver de voyages bizarres en regardant des bateaux à l’arrêt.

 

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3 commentaires:

  1. Quelque part au paradis, Joséphine Baker agite ses ailes en disant "Ce Joe Krapov, voilà un gars que j'aurais bien voulu connaître ! Je ferais de lui mon batteleur du jazz hot."

    :-)

    Je ne trouve pas de meilleur louange, Joe, bien que tu sois digne de tous les compliments.

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  2. Un tantinet désabusé l'ex bateleur ...

    " Je n'ai pas envie d'apprendre le belge pour économiser du fric. " Excellent !

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  3. "... souvenirs de l’époque où j’étais bateleur."
    Je vois que tu l'es toujours, bateleur ès jeux de mots, mots que tu manies à merveille.
    Que de calembours dans ton texte, tous plus fins les uns que les autres. J'adore !
    Bravo Joe !

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