L’une parle ; c’est une cartomancienne.
L’autre rêve ; elle se nomme Chanel.
Elle écoute et parfois le ton monocorde de la cartomancienne
l’assoupit ; elle se laisse surprendre par des pensées floues, sans trace.
Elle étend ses jambes.
Elle sent l’ambiance.
Elle se souvient de son premier flacon de parfum, de la
délicatesse et de la douceur du bouchon en verre.
Elle se souvient du timbre en forme de cœur qu’elle avait
léché précautionneusement avant de le fixer sur l’enveloppe verte.
Elle laisse à Coco la responsabilité de cette phrase :
« Une femme sans
parfum est une femme sans avenir. »
Ses narines sont titillées par la fumée du bâtonnet d’encens
au lotus qui embaume la pièce sombre.
L’odeur l’entête.
Elle songe à ce qu’elle répondrait à Coco si elle l’avait
devant elle.
Un avenir sans doute
est un avenir sans projet.
Un projet sans désir
est un projet sans gloire.
Une gloire sans témoin
est une gloire sans histoire.
Une histoire sans fin
est une histoire sans lendemain.
Un lendemain sans réponse est un lendemain sans mystère.
…
Et puis elle s’égare… Car elle veut croire aux lendemains.
Un lendemain sans
attente est un lendemain sans parfum, sans eau, un désert, une hécatombe, un
sanctuaire, un no man’s land, une nuit sans fin, l’enfer…
…
La voix grave la sort de ses rêveries.
-
Je vois une nuit, une longue nuit….
-
Roy de bâton ; espoir…
Le soleil revient ; joie
-
Le bateleur s’efface ; le courage
s’estomperait-il ?
Gnia nia nia nia nia …
La cartomancienne étale les lames devant elle sur une petite
table au vernis craquelé, comme l’est d’ailleurs la couche de couleur de ses
ongles démesurément longs.
Ce qui parait bizarre, c’est le jazz, le petit air de jazz qui
accompagne ses paroles ; anachronique.
Un tarot sans pendu
est une vie sans suicide.
Un ciel sans nuage est
un ciel sans ombrage.
Voilà la cartomancienne qui reprend ses incantations
stupides que la jeune femme n’ose interrompre ; au moment où elle cesse de
parler, la musique se tait.
La voyante la fixe
droit dans les yeux et semble inquiète.
Elle pose son index sur l’arcane du diable et tapote la
carte avec son ongle rouge.
Chanel regarde sans comprendre, prend peur, se lève, pose un
billet sur la table et sors.
En te lisant, je vois le film (Coco avant Chanel) avec Tautou, c'est vraiment très bien raconté. Bravo !
RépondreSupprimerBelle ambiance au parfum de mystère. Bravo!
RépondreSupprimerL'atmosphère s'y prête admirablement et mon angoisse monte... Quand la musique s'arrête, elle est à son paroxysme et je crois même, comme Chanel, avoir eu peur aussi.
RépondreSupprimerUn texte qui nous agrippe et nous immerge dans une ambiance si captivante.
On sentait bien que l'assurance du début était un peu feinte. La lucidité fait toujours un peu peur alors l'extra-lucidité ... ! ;-)
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