Sur un coup d’index mal ajusté, Baldini fait une sortie de route et se précipite dans le ravin. Federico peut respirer, ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme l'aigle de Tolède ! Il franchit en tête ce col de première catégorie sous les vivats de la basse-cour, des chiens Négus et Pataud et de mon copain César, le cochon. Vivats entrecoupés par le grincement strident de la meule, de cette foutue meule sur laquelle, tante Corentine est en train d’affûter sa hache.
Avec mes petits frères et cousins, nous sommes dans la cour de la ferme de mon papy et nous revivons avec nos moyens les grandes étapes du Tour de France. Un gros tas de sable sur lequel nous avons tracé des routes avec lignes droites, montées, descentes, tunnels, virages serrés, et des coureurs représentés par des capsules de bouteilles de Vichy que nous propulsons d’une pichenette du pouce ou de l’index. Pour bien différencier les équipes, une petite rondelle de papier colorié en guise de maillot est collée au fond de la capsule et porte le nom de nos champions. Il y a là toute la fine fleur du cyclisme mondial, Anquetil, Charly Gaul, Nencini, Darrigade, Bobet…
Après avoir basculé en tête au sommet, Bahamontes, toujours accompagné du grincement aigu de la meule, entame la descente. Il fonce vers la ligne d’arrivée qui n’est plus trop loin maintenant. La pression est beaucoup moins importante puisque son concurrent immédiat est au tapis et que les autres poursuivants sont loin derrière. Il est serein et peut donc gérer cette descente sans trop prendre de risques…
Tout à coup on entend un cri dans la grange, on a tout de suite cru que c’était encore Fanch, le copain de tonton, qui faisait le clown. C’est un vieux garçon qui nous fait toujours bien rire avec ses pitreries.
Le cri se prolonge et devient plus strident. Fanch exagère là ! Ou alors il a bu plus que d’habitude. Nul besoin d’avoir des écouteurs pour entendre ce cri déchirant et inhumain qui se termine par un gargouillis.
Nous nous précipitons dans la grange... je n’oublierai jamais cette image, Tonton et son pote Fanch, en bras de chemise, Corentine la hache encore à la main, et à leurs pieds, César, le crâne éclaté.
La salope ! elle a tué mon César !
Elle nous crie : « Allez ouste ! Filez maintenant ! Allez jouer ! »
Forcément, on a moins envie de jouer maintenant !
Je flaire comme une fiction, je pense que ce ne serait pas la tante qui avait manié la hache dans la présence de deux hommes. J'ai bon ?
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, c'est très bien raconté, SklabeZ, sauf que je n'aime pas que le narrateur traite sa tante de salope. Après tout, elle faisait un travail nécessaire pour la survie de la famille. Qu'il dise cela le rend moins sympathique pour mes yeux.
Gagné ! Une vraie fiction ! Faut dire que la photo ne nous laisse pas trop le choix des armes ;-)
SupprimerÀ vrai dire je n'ai jamais vu quelqu'un ou quelqu'une tuer un cochon avec une hache. Ou avec autre chose d'ailleurs, je suis bien trop sensible pour ça. Pour rien au monde je n'aurais assisté à un tel spectacle, je ne pouvais pas.
Dans le temps (comme on dit) les cochons étaient tués à la ferme. Quand j'étais présent je m'écartais le plus loin possible pour ne rien voir mais j'entendais la pauvre bête crier, ça n'en finissait pas!!! J'en étais malade ! Même maintenant, je ne pourrais pas !
Je sais bien que c'est pour la bonne cause, mais je ne peux pas, rien à faire ! Un défaut dans ma cuirasse certainement, nul n'est parfait
Les gamins disent parfois des choses qui ne sont pas sensées et qui méritent des baffes. Il a dit ça sur le coup de l'émotion, mais elle lui a quand même tué son copain... comme cochon.
Merci de me rappeler un souvenir d'enfance, non pas la mort du cochon ! Mais, les capsules et oui, nous jouions aussi à ça avec mes cousins :-) - Bravo à toi, Sklabez pour ce texte.
RépondreSupprimerOui, les capsules ou parfois, des noyaux d'abricot, mais ces derniers étaient moins jolis.
SupprimerMerci Anne-Ma !
On a tous des souvenirs de Tour De France en miniature... chez nous c'étaient les pions du jeu de dames sur lesquels on inscrivait les noms de nos héros (avec fôtes d'ortografe siouplait). Un texte nostalgique et saignant, SklabeZ
RépondreSupprimerÀ l'époque on s'amusait avec pas grand chose ;-)
SupprimerC'est en écrivant ce texte que je me suis ressouvenu petit à petit de tous ces lointains moments. Un souvenir rappelant l'autre, tous attachés à la queue leu-leu sur un bout de laine qu'on tire délicatement de la pelote pour éviter de le casser. La meule, la tante, la hache, le sable, les coureurs, le cri... aie ! le bout de laine s'est cassé !
César a franchi la ligne d'arrivée d'une drôle de manière.
RépondreSupprimerSi Corentine était à l'arrivée des étapes, y'aurait moins de dopage, non ?
Il était dans le rouge et il s'est fait sauter la caisse. La sorcière aux dents vertes ne l'a pas manqué.
SupprimerPour la bise à l'arrivée, surtout pas Corentine !
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